Wabi sabi
La cérémonie du thé ne peut être comprise sans l’introduction de deux concepts essentiels à la fois sur le plan esthétique, philosophique, éthique, et bien entendu spirituel : WABI et SABI.
Wabi :
Le goût pour les formes austères et dépouillées, si caractéristiques de la voie du thé, est désigné d’ordinaire par le terme de WABI. Si l’on cherche à mieux cerner le sens profond de ce terme, c’est tout un univers qui s’ouvre. C’est un concept difficile à expliquer de façon directe. Le WABI cela se ressent. C’est surtout un vécu, celui par exemple d’un moment passé dans un pavillon de thé… WABI vient de WABISHII, adjectif qui signifie « solitaire, abandonné,… ».
Ainsi dans son acception originelle ce terme évoque la solitude de l’être, la pauvreté des choses. Cependant, au cours de l’histoire de l’art et de la spiritualité japonaise, le sens de WABI a pris peu à peu un sens plus « positif ».
Le terme de WABI tel que l’utilisait Sen no Rikyû au XVIème siècle pourrait être rendu par l’expression « simplicité rustique ». Mais WABI n’est pas l’amour esthétique de ce qui est rustique ; c’est un état d’esprit qui se nourrit aux notions de simplicité, de frugalité, d’humilité. Dans le Zen, la pauvreté est un noble idéal ; celui qui se détache de la matière s’ouvre les portes de la liberté qui pourront lui permettre une meilleure compréhension du monde et des êtres.
Ce concept a cependant gardé de son sens originel les notions de solitude et d’isolement. Prendre de la distance, s’éloigner du monde nous met en contact avec ce qui définit WABI. On trouve ce terme exprimé dès le XIIème siècle dans le Tsurezure Gusa de Yoshida Kenkô. WABI est donc aussi profondément lié à la tradition japonaise de l’ermite, loin des conventions sociales, isolé des autres et immergé dans la nature. Nous ne pouvons faire l’expérience de WABI qu’une fois l’esprit libéré des influences et des attentes qui nous assaillent lorsque nous sommes au sein de l’univers social.
Sur un plan plus esthétique, le WABI c’est le dépouillement des formes et des matières ainsi que la sobriété des couleurs. Il indique une préférence pour la pauvreté par rapport à la richesse, pour l’irrégularité par rapport à la régularité, pour l’asymétrique par rapport au symétrique. Être au plus proche du naturel, pour se donner la possibilité de percevoir l’esthétique spécifique du vivant lorsqu’il s’exprime librement. L’artiste habité par le WABI ne crée pas seul ; il sait que l’impact de ses créations est décuplé lorsqu’il est à l’écoute de la nature et qu’il co-crée avec elle. Cela donne à son art, une universalité en laquelle chacun peut se reconnaître.
Sabi :
SABI vient de l’adjectif SABISHII qui a tout à fait le même sens que WABISHII. Ainsi, le sens de SABI est presque indissociable de WABI. Ils sont très proches avec cependant une nuance. Sur le plan spirituel et esthétique, SABI exprime le goût pour les choses qui portent la marque du temps. C’est la patine qui donne vie aux objets. Mais c’est aussi la décomposition ou le renouveau. SABI représente un état d’éveil et de sérénité face à la fugacité de l’instant et l’instabilité du monde. Sen no Rikyû aimait à citer ce poème représentatif de la sérénité qui peut être atteinte par la pratique de la voie du thé :
« Je ne vois autour de moi
Ni fleurs, ni feuilles rougies par l’automne
Près de la cabane au toit de chaume
Qui se tient solitaire sur le rivage
L’automne s’enfuit… »
Ce poème pourrait nous laisser sur une impression mélancolique… Mais SABI n’est pas l’ordre du psycho-émotionnel. SABI c’est utiliser chaque élément d’expérience quotidienne pour remonter à la perception profonde de l’impermanence. Ainsi, SABI peut être, tout aussi bien, la fine capacité à percevoir le renouveau :
« À celui qui se languit
Des fleurs de printemps
Montre les jeunes pousses
Qui sortent dans les collines enneigées »
Adhérer à cette idée profonde de SABI, c’est reconnaître sereinement l’impermanence des choses, et goûter le temps qui passe…
WABI/SABI expriment ensemble la capacité à percevoir le vivant dans son essence, capacité qui amène naturellement à une neutralité d’esprit et une perception de l’impermanence d’une incommensurable profondeur. La tranquillité et la pureté du cheminement du Zen, en particulier celui de la voie du thé, vont de pair avec la perception d’une dynamique profonde : celle de la Vie.